La truite

Froide, glissante, insaisissable… Elle est semblable aux truites qu’elle élevait dans son Jura natal, Frédérique (Isabelle Huppert). Allumeuse tristounette, bardée de faux mystère, elle provoque et se refuse davantage qu’elle ne se donne, avec la même mollesse vaguement perverse…La truite Un personnage que Losey aurait voulu faire incarner, il y a une vingtaine d’années, par Brigitte Bardot. Notons au passage cette vérité attristante : les vieux projets de cinéastes célèbres, enfin menés à bien, sont rarement des réussites. « La truite » n’échappe pas à cette loi tacite. Le roman de Roger Vailland a gardé la parfum aujourd’hui désuet des années 60, on est décalé, rien à faire ! Autour d’Isabelle Huppert, qui a toujours l’air de s’en foutre, ce ne sont que pantins théâtraux récitant des dialogues parfois risibles : Galuchat, son mari homosexuel honteux (Jacques Spiesser), ses soupirants rivaux (Jean-Pierre Cassel, Daniel Olbrychski) etc. Bien sûr, les somptueux décors ne manquent pas, surtout dans les séquences japonaises irréprochables pour l’ameublement et les costumes… Bel emballage cellophane pour subtilités brodées autour d’un libertinage d’un autre âge. Losey, hélas, ne parvient plus à nous troubler…

La ballade de Narayama

La ballade de NarayamaNarayama c’est, au sommet de la montagne, un endroit désert, balayé de vent, jonché de squelettes et habité de corbeaux où les dieux rencontrent les humains venus les chercher. C’est un lieu de rendez-vous avec la mort. L’histoire de cette ballade peu commune est extraite d’une vieille légende japonaise : dans un village aux coutumes primitives vivent quelques familles isolées. Une existence dure, sans concession, où les lois qui régissent cette petite communauté sont sévères et barbares. Ainsi, pour un vieillard, avoir toutes ses dents y est mal vu : c’est pourquoi Orin, une grand-mère que la vieillesse physique n’a pas encore atteinte, décide de se les casser elle-même pour ne plus être victime des médisances. De même, afin de ne plus être des bouches inutiles pour la société, les parents qui atteignent l’âge fatidique de soixante-dix ans doivent être portés par leurs enfants à la « Montagne aux chênes » (Narayama) pour y mourir. Le film de Shohei lmamura suit d’un bout à l’autre les derniers jours de la vie d’Orin et relate de façon implacable cette existence de misère et de labeur incessant, ce monde d’une effrayante dureté où la mort est coutumière comme le sont la famine et la violence… Pas de pardon sur ces terres désolées où l’on enterre vivants les voleurs de pommes de terre, où l’on vend les enfants pour quelques kilos de sel, où l’on abandonne les bébés dans les rizières pour éviter d’avoir un être de plus à nourrir. La description de ce quotidien crasseux et sordide est d’autant plus frappante qu’elle se déroule dans un cadre d’une surprenante beauté. Comme si l’enfer occupait un petit bout de paradis ! La Palme d’or de Cannes a fort justement récompensé cette œuvre d’une rare densité et d’une grande sincérité. Cette ballade n’est pas à mettre entre tous les yeux, c’est ce qui en fait sa force et son originalité. Trop rarement le cinéma japonais vient nous rappeler qu’il peut être l’un des plus beaux qui soient.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*